Plusieurs groupes parlementaires ont lancé une proposition de
résolution dans le but de créer une commission d’enquête parlementaire
sur les sources de financement de l’État Islamique. La première
proposition est à l’initiative du député Jean-Frédéric Poisson,
président du parti Chrétien Démocrate français, et a reçu le soutien de
146 députés à ce jour, essentiellement des membres du parti Les
Républicains. La discussion de cette proposition est inscrite à l’ordre
du jour des débats à l’Assemblée Nationale le jeudi 3 décembre
prochain.
Une deuxième proposition visant également à la création d’une
commission d’enquête parlementaire sur les sources de financement de
l’État Islamique a été lancée par Jean-Jacques Candelier et le groupe
communiste à l’assemblée. Aucun parlementaire socialiste ne lui a
apporté son soutien à ce jour…
Ces deux propositions font suite aux déclarations de l’ambassadrice
de l’Union Européenne en Irak, Mme Jana Hybaskova, devant les députés de
la commission des affaires étrangères du Parlement européen affirmant
que des états européens achetaient le pétrole de l’État Islamique.
Si l’identité des états-européens clients de Daech est donc pour
l’instant inconnue, les éléments déjà révélés par de nombreux organes
d’information donnent une idée assez précise des sponsors de l’État
Islamique, au niveau financier et militaire.
Un soutien direct à l’État Islamique
Au niveau opérationnel, un rapport de la DIA (Defense Intelligence
Agency) datant de 2012 [*] et déclassifié par Judicial Watch, affirmait
que l’État Islamique était soutenu par les membres de la coalition
internationale dans leur objectif de renverser le régime syrien:
« l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition…
il y a la possibilité d’établir une principauté salafiste officielle ou
pas, dans l’est de la Syrie (Hasaka et der Zor), et c’est exactement ce
que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler
le régime syrien …»
L’organisation anglaise Conflict Armement Research a pu documenter la
provenance d’un certain nombre d’armements saisis par les forces Kurdes
en Syrie et en Irak à des combattants de l’État Islamique, notamment
des roquettes anti-char M79 de fabrication américaine transférées
officiellement par l’Arabie Saoudite à « l’Armée Syrienne Libre » en
2013…
Le parlement irakien a accusé fin 2014 les forces américaines de
soutenir l’État Islamique sur son territoire. En cause selon les
autorités irakiennes, des largages d’armement à répétition de la part de
l’aviation américaine aux combattants de Daech.
La politique de formation de «rebelles modérés » destinés à lutter
contre le gouvernement de Bachar al-Assad conduit également dans les
faits à fournir en combattants l’organisation terroriste.
L’exemple de la défection des 2000 hommes de la brigade Al Yarmouk,
rapporté par le site israélien Debkafile en décembre 2014, formés par
des officiers US en Jordanie et qui ont rejoints les rangs de Daech
sitôt leur formation au combat achevée, est à cet égard tout à fait
parlant.
Les liens entre l’État Islamique et le Front Al-Nosra
Issu de la branche d’Al-Qaïda en Irak, l’État Islamique change
d’appellation en 2006 et se fait appeler Emirat Islamique d’Irak. A la
suite du désengagement des troupes américaines en Irak, l’organisation
monte en puissance et en 2012 elle étend sa zone d’influence du côté
syrien de la frontière. Elle se fait alors appeler Emirat Islamique en
Irak et au Levant (EIIL) et se rapproche du Front al-Nosra, la branche
d’Al Qaïda opérant sur le territoire syrien, dont elle veut prendre le
leadership. Cependant, la tentative de fusion entre les deux groupes
échouera et se traduira sur le terrain par de violents affrontements.
Au printemps 2014, le leader d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri,
s’exprimera à ce sujet dans les médias de l’organisation terroriste afin
de faire cesser les combats entre les deux groupes, qui partagent la
même idéologie salafiste.
Il semble que son appel ait été entendu et les deux organisations
coopèrent de nouveau sur le terrain, comme le rapporte l’Observatoire
Syrien des Droits de l’Homme. Elles auraient en effet fusionné dans la
région de Boukamal, principale localité frontalière entre la Syrie et
l’Irak.
Les groupes « modérés » soutenus par la France et combattants avec Al-Nosra
Le président français et l’exécutif ne se cachent pas de soutenir activement depuis 2012,
y compris par la livraison d’armement, les groupes de
rebelles « modérés » luttant contre le régime de Bachar-al-Assad.
L’intervention russe en Syrie a toutefois révélé l’identité des groupe de rebelles soutenus par la coalition occidentale et visés par l’aviation russe.
La fiction de l’opposition « modérée » qui bénéficie du
soutien opérationnel français a volé à cette occasion en éclat puisque
ces groupes de combattants étaient composés du Front al-Nosra et du
groupe salafiste Ahrar al-Cham réunis au sein d’une entité dénommée
« Armée de la conquête ». Ceci explique pourquoi des missiles anti-char
français Milan se soient retrouvés aux mains de la filiale d’Al-Qaïda en Syrie.
Plus grave, au vu de la collaboration sur le terrain entre le
Front al-Nosra et l’État Islamique, tout laisse supposer que les
armements français circulant en Syrie au sein de ces différents groupes
djihadistes peuvent se retrouver dans les mains des combattants de
Daech.
En mai 2013, l’Union Européenne a officiellement levé l’embargo sur les armes
à destination de ces mêmes « rebelles » syriens, suivant en cela la
voie tracée par l’exécutif français, tout en maintenant l’embargo
frappant le régime de Bachar al-Assad…
Le pétrole de l’État Islamique, la Turquie et l’Union Européenne
Alors que la question des sources de financement de l’État Islamique
se pose aujourd’hui à l’occasion des différentes propositions de
création de commission d’enquête parlementaire, le rôle de l’Union
Européenne et de la Turquie sur cette question est centrale.
C’est en effet une décision de l’Union Européenne
du 22 Avril 2013 qui a abouti à la levée de l’embargo sur les
exportations de pétrole syrien qui frappait jusque-là l’ensemble du
pays. Cette révision des sanctions concernait spécifiquement les régions
de l’est et du nord du pays aux mains des « rebelles » dans le but de
« contribuer à restaurer les services de base et l’activité économique,
ainsi que de favoriser la reconstruction. Et de permettre les
importations de pétrole produit dans les zones concernées. »
Dans les faits, cette région était déjà sous le contrôle de
l’État Islamique, la levée de l’embargo décidée par l’UE lui a donc
fourni sa principale source de financement en lui permettant d’exporter
le pétrole présent sur les territoires qu’il contrôlait...
.
Selon Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du
terrorisme cité par le journal Le Figaro, Daech tire environ un quart de
ses revenus de la vente du pétrole, soit 600 millions de dollars en
2015.
Ce dernier est convoyé par camions, pour l’essentiel en Turquie, il
est ensuite probablement acheminé vers l’Europe par le port de Ceyhan
par lequel transitent également les hydrocarbures en provenance des pays
du Golf, selon Pierre Terzian de Pétrostratégies.
La Turquie mène en effet depuis le début du conflit en Syrie une
politique de soutien aux groupes salafistes luttant contre Bachar
al-Assad, y compris l’État Islamique. Le pays est ainsi à la fois la
principale porte d’entrée des candidats au djihad venus d’Europe vers la
Syrie, et une base logistique pour l’organisation. Selon le journaliste
du Washington Times Daniel Pipes, les combattants étrangers traversent
la frontière turco-syrienne à leur guise, l’État Islamique contrôlant la
partie syrienne, ce que le journaliste turc Kadri Gursel appelle une «
autoroute djihadiste à deux sens » qui impliquerait parfois « l’aide
active des services de renseignement turcs ». La Turquie a ainsi attendu
juin 2014 pour ajouter l’État Islamique et le Front al-Nosra sur sa
liste des organisations terroristes, sous la pression internationale…
Résumons. L’État Islamique s’implante en Syrie au cours de
l’année 2012 et tente de prendre le leadership de la rébellion
anti-Assad dans le pays en fusionnant avec le Front Al-Nosra. Après une
période d’affrontement entre les deux groupes, ils entament une
collaboration opérationnelle courant 2014 après l’intervention du leader
d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri.
En avril 2013 l’Union Européenne assoupli son embargo sur le
pétrole syrien, « afin d’aider la population civile », dans les zones
contrôlées par la « rébellion », le nord et l’est du pays, c’est à dire
les territoires contrôlés par l’État Islamique.
Le pétrole est ensuite acheminé par camions en Turquie, qui
apporte un soutien opérationnel au groupe terroriste, puis exporté dans
l’Union Européenne, via le port de Ceyhan.
Les Etats-Unis poursuivent depuis 2012 une politique de
formation de rebelles dits « modérés » qui désertent en masse une fois
leur formation achevée pour rejoindre les rangs de Daech.
Les mêmes Etats-Unis, la France, et plusieurs autres pays
membres de la coalition internationale qui lutte officiellement contre
l’État Islamique fournissent des armes à divers groupes de rebelles
« modérés », dont la branche d’Al-Qaïda en Syrie, le Front Al-Nosra, qui
collabore lui-même avec l’État Islamique à la frontière irako-syrienne.
La création d’une commission d’enquête parlementaire paraît
cependant hypothétique au regard des implications coupables du
gouvernement français et des consignes de vote qui seront probablement
données par la majorité au pouvoir, à cet égard, le courage et la
volonté d’ouvrir les yeux sont cependant plus importantes que les
questions d’affiliation politique.
Guillaume Borel